Depuis peu, le gouvernement provincial de la ville de Kinshasa a instauré une mesure visant à interdire les livraisons de marchandises volumineuses — telles que les boissons, le pain, le mobilier ou les matériaux de construction (sable, ciment, fer à béton…) — en journée. Désormais, celles-ci ne sont autorisées qu’à partir de 21h. Si l’objectif annoncé est de désengorger la circulation, la réalité du terrain pose question. Cette tribune se veut une contribution constructive au débat.
Une réponse à un désordre logistique bien réel

Il est indéniable que Kinshasa souffre d’une congestion urbaine chronique. La ville grandit, le trafic s’intensifie, et les activités économiques se densifient, notamment dans les quartiers commerçants comme la Gombe, Matete ou Limete. La multiplication des livraisons en pleine journée, avec des véhicules souvent stationnés en double file ou roulant à vitesse réduite, aggrave les bouchons et ralentit l’activité. Une régulation était donc attendue.
Mais une mise en œuvre brutale et risquée
Cependant, appliquer une telle mesure sans dispositif d’accompagnement suscite de profondes inquiétudes :
Infrastructures urbaines nocturnes insuffisantes : Faible éclairage public, routes souvent en mauvais état, signalisation quasi inexistante. Les risques d’accident augmentent la nuit.

Insécurité ambiante : Les livreurs, chauffeurs et manutentionnaires sont exposés aux agressions, braquages et actes de vandalisme. À certaines heures, des quartiers entiers deviennent zones à risque.
Conditions de travail précaires : Le travail de nuit exige des mesures spécifiques (primes, protection, temps de repos), peu respectées aujourd’hui dans l’économie informelle.
Désorganisation de chaînes logistiques : Pour les boulangers ou les chantiers de construction, certaines livraisons matinales sont vitales. Leur report pourrait entraîner des pénuries ou des retards
Un manque de concertation regrettable
La décision semble avoir été prise sans une réelle consultation des opérateurs économiques, des transporteurs, des syndicats ou des représentants de quartier. Pourtant, ces acteurs disposent d’une connaissance fine du terrain. Une réglementation efficace ne peut être imposée sans dialogue préalable, évaluation d’impact et phase transitoire.
Propositions pour une régulation durable
Plutôt que d’imposer un horaire unique, la ville pourrait envisager des solutions plus souples et adaptées :
Plages horaires modulées selon le type de marchandises et de quartiers ;
Création de « zones logistiques nocturnes sécurisées » avec présence policière et éclairage renforcé ;
Accords tripartites (autorités, transporteurs, syndicats) pour définir les modalités du travail de nuit ;
Mise en place d’une plateforme de suivi des livraisons pour éviter les abus et renforcer la traçabilité.

Un enjeu d’aménagement et de gouvernance
Le défi des livraisons n’est pas seulement une question d’horaires : il révèle les limites de la planification urbaine actuelle. Tant que les marchés ne disposeront pas de zones de réception bien pensées, tant que les dépôts resteront intégrés dans des quartiers résidentiels denses, tant que les transporteurs seront laissés à eux-mêmes, aucune mesure ne sera pleinement efficace.
En régulant sans sécuriser, on ne fluidifie pas la ville, on la fragilise.
Il est encore temps de réajuster. Kinshasa a besoin d’un cadre logistique intelligent, équilibré et concerté. Une ville qui construit l’avenir ne peut le faire que dans le dialogue et la prévoyance
Rédaction


